Répertoire de (son) grand cru

Cette technique intuitive l’a bien servie. Des pièces du tout premier album de Stréliski, Pianoscope, sorti en 2010, ont figuré dans de grands films, dont Dallas Buyers Club et Demolition, de son compatriote canadien Jean-Marc Vallée, et dans la série Big Little Lies de celui-ci à HBO. Paru en 2018, son deuxième album, Inscape, entièrement instrumental, est classé double platine. Son troisième album, Néo-Romance, obtient une des places convoitées sur la Longue liste 2023 des Prix de musique Polaris et remporte plusieurs prix, dont celui de l’album le plus vendu au Gala de l’ADISQ 2024 et de l’album de l’année, catégorie « néoclassique », du palmarès Opus Klassik 2024. L’album est conçu pendant une période charnière de la vie de Stréliski, où elle déménage à Rotterdam pour vivre avec sa partenaire. Là-bas, elle plonge dans ses racines françaises, polonaises et juives, qui influencent profondément la création de l’album. Malgré les louanges, Stréliski reste centrée sur son public : « Je jette des ponts entre la musique classique et un plus vaste public pour faire revivre des émotions qui se sont perdues, parce que la musique classique a toujours été vue comme élitiste. Un grand fossé s’est creusé. » Stréliski décrit sa musique avec des mots tels que « minimaliste », « cinématographique » et « émotionnelle », ce qui explique en partie pourquoi ses œuvres traversent les frontières de l’univers pop et d’autres genres. (Par exemple, elle figurait au programme du Festival d’été de Québec 2024, auquel participaient également les Jonas Brothers, Mötley Crüe et Post Malone.)

Stréliski, qui a composé par le passé pour des publicités télé et des documentaires, s’est récemment produite devant près de 100 000 admirateurs du monde entier pendant la tournée Néo-Romance de deux ans, terminée en janvier 2025. Elle affirme avoir été inspirée par ses prestations dans différents lieux de divers pays et par l’expérience partagée avec son public. Mais le travail en studio la comble tout autant. « C’est très intéressant [la sensation] de participer à ces événements énormes et, tout d’un coup, tout arrête », dit la lauréate de prix Juno, à propos de la vie après la tournée. « Je reviens à la base, à l’essentiel de l’artiste que je suis. C’est important, pour quelqu’un qui crée, d’accepter les moments de silence, où il ne se passe rien. Et de les accueillir et de profiter aussi de ce processus-là. » 

Dans sa quête d’un large public, Stréliski voit le pouvoir du néoclassicisme avec philosophie. « La qualité de la musique instrumentale, explique-t-elle, c’est qu’on peut l’écouter dans des contextes très différents. [Les gens me disent] qu’ils l’écoutent en boucle et qu’elle fait partie de leur vie. Et je remarque sur scène que, si cette musique était la mienne à l’origine, elle ne m’appartient plus désormais. Elle appartient à tout le monde… Certaines personnes ont vécu de profondes expériences humaines, comme un deuil ou une naissance, et quand je joue une pièce, elles revivent leurs propres souvenirs. » 

Le talent de Stréliski touche également une génération plus jeune. Étant l’une des rares femmes en musique néoclassique, elle a reçu des lettres de parents lui disant qu’elle est un modèle pour leurs filles qui jouent du piano ou qui composent. Stréliski se rappelle un incident de sa propre enfance, où elle a dû accepter un rôle de leader. « Il fallait élire un président ou une présidente d’école, et j’ai levé la main, convaincue que c’était ce que les autres voulaient que je fasse », dit-elle, et elle a finalement remporté le titre. « On ne se positionne pas soi-même comme leader. Pour moi, il s’agit d’écouter les gens qui nous entourent, de les inspirer, et ensuite, de les guider. On doit aussi se battre en tant que leader – on doit se battre pour sa cause. »