Mode de vie

Tokyo intemporelle

De la culture du sumo au chic des geishas, voyage au cœur des traditions exclusives du Japon.

Geisha

Un murmure d’anticipation descend dans l’arène Kokugikan de Tokyo, où deux lutteurs s’accroupissent pour s’affronter, complètement nus sous leur pagne mawashi en soie, les cheveux huilés serrés en chignon. Par un coup des poings sur la surface sableuse du dohyo (le ring), le plus gros des deux – environ 150 kilos – est le premier à bouger. Ensuite, l’enfer se déchaîne.  

À moins d’un mètre l’un de l’autre, les deux rikishi (lutteurs) s’élancent, et une fraction de seconde plus tard, un bruit sourd résonne dans l’arène caverneuse, coupant le souffle des 10 000 spectateurs, avant l’échange d’une rafale de tapes pour le contrôle du combat.  

Les tapes se transformant en prises, les deux rikishi cherchent à s’empoigner suffisamment pour lancer ou lever l’autre – tout pour envoyer l’autre au plancher ou l’entraîner hors de la plateforme du dohyo. Ensuite, à peine 20 secondes après avoir commencé, tout est fini. Après avoir tiré lourdement sur le mawashi, le plus petit rikishi déséquilibre l’autre et le repousse vers le bord du ring, où son adversaire vacille un instant avant de tomber en dehors. La foule exulte. Vainqueur et vaincu semblent tous deux épuisés. 

Two sumo wrestlers prepare for battle.

Les matchs de sumo sont de courte durée, contrairement au cérémonial préliminaire qui s’intensifie graduellement comme l’eau qui bouille à petit feu. Des lutteurs paradent autour du dohyo avant chaque ronde de combats, qui commençent par les rikishi de rang inférieur en matinée et se terminant en début de soirée par les plus grands du sport : des noms très connus au Japon, comme Hakuho et Kakuryu. On assiste aussi à des processions de porte-étendards, fiers comme s’ils défilaient devant une armée de samouraïs, bien que leurs étendards brodés soient des publicités pour des marques aussi diverses que de grands magasins et des entreprises de construction. Avant chaque combat, d’étranges chorégraphies des deux lutteurs sont autant de démonstrations de force intimidantes où ils frappent le sol de leurs pieds, se cognent le ventre et lancent du sel sur le dohyo pour purifier l’espace. 

Tout ce rituel du sumo tire ses racines du shintoïsme, religion indigène du Japon, où la lutte faisait initialement partie de rites religieux : divertir les dieux pour gagner leur faveur dans l’espoir de bonnes récoltes. De là, le sumo est devenu peu à peu le divertissement de la classe ouvrière de l’ère Edo (1603-1868), devant un public payant afin de réunir des fonds pour les projets de construction de lieux de pèlerinage et de temples, avant de s’établir comme sport reconnu. De nos jours, non seulement des Japonais, mais des lutteurs de Mongolie, d’Europe orientale et d’Hawaï occupent les rangs des professionnels qui participent à six grands tournois de sumo de 15 jours chaque année. Même les sièges ordinaires se vendent rapidement, mais les loges autour du ring, où l’on s’assoit sur des matelas au sol assez près du dohyo pour entendre chaque coup et chaque effort, sont particulièrement difficiles à trouver – vite envolées pour les invités des entreprises et les personnalités. 

Trois de ces tournois – en janvier, en mai et en septembre – ont lieu à l’arène Kokugikan dans le quartier Ryogoku, autrefois le secteur marchand et ouvrier d’Edo (ancien nom de Tokyo). C’est le quartier du sumo, accueillant beaucoup de grandes sumo beya (écuries d’entraînement), où vivent et s’entraînent quotidiennement des dizaines de lutteurs. Arpentez ces rues et vous verrez peut-être de jeunes sumos à leurs corvées circulant sur les vélos utilitaires, les mamachari (« chariot de maman »), achetant les ingrédients des ragoûts que les sumos cuisinent et mangent ensemble dans leurs logements. 

Appelé chankonabe, ce mets sumo de base préparé dans un grand récipient en métal ou en céramique contient du chou et d’autres légumes, des fruits de mer, du poulet et du tofu, le tout mijoté dans un bouillon de poisson ou de viande, puis servi avec du riz, procurant tout ce dont un lutteur a besoin pour rester gros et en santé. Mais ce n’est pas réservé qu’aux rikishi : vous pouvez vivre l’expérience du sumo au-delà du tournoi par un dîner de chankonabe dans un restaurant de Ryogoku, dont beaucoup sont liés au sumo, que ce soit par des chefs ou propriétaires ex-sumos ou, pour l’option haut de gamme comme le Kappo Yoshiba, par leur installation dans un immeuble historique en bois de cyprès qui accueillait autrefois une écurie d’entraînement sumo. (À propos, hors de la période des grands tournois, vous pouvez explorer davantage, car certaines sumo beya de Tokyo ouvrent leurs séances d’entraînement du matin aux visites de petits groupes guidés.) 

Dans les profondeurs de la vieille Tokyo 

L’Aman Tokyo est l’un des très rares hôtels très haut de gamme qui réservent des visites exclusives d’écuries sumo pour ses clients. Il offre aussi d’autres excursions sur invitation seulement pour approfondir d’autres aspects des traditions japonaises inaccessibles au voyageur typique. Cela comprend un des fleurons des coutumes du Japon, et peut-être le moins bien compris : les geishas. 

Les invités privilégiés vont ainsi dans le quartier Akasaka – l’une des six hanamachi (« ville-fleur ») restantes à Tokyo où les geishas sont encore présentes – et dans le Tsurunaka, peut-être le plus exclusif des ryotei restants de la capitale : des restaurants traditionnels très privés et très coûteux accessibles seulement sur recommandation, pour une soirée de gastronomie, de conversation et de divertissement traditionnel.  

Tout comme une journée de sumo, une soirée au Tsurunaka est une succession d’éléments intemporels : révérence de bienvenue du propriétaire en kimono à l’entrée du ryotei discrètement signalée par une lanterne de papier; plancher de tatamis et tables basses des salles à manger privées, qui ont vu, au fil des générations, politiciens et célébrités se rencontrer loin des yeux des médias et du public; et, bien entendu, les geishas. 

A plate of yakimono from Tsurunaka.

En compagnie de deux des 23 geishas restantes d’Akasaka – beaucoup moins que les 600 d’avant la Seconde Guerre mondiale – la soirée progresse en un repas de neuf services artistiquement orchestré. Les plats changent tous les jours selon les ingrédients saisonniers, mais suivent rigoureusement les traditions séculaires de la haute cuisine japonaise, kaiseki-ryori – une série successive de petites œuvres d’art culinaires disposées sur de fins plats en laque ou en céramique. Viennent ensuite les chants et jeux, en commençant par une geisha qui effectue de lentes danses avec une attitude et un équilibre dignes des arts martiaux, tandis qu’une autre l’accompagne au son rythmé nasillard des trois cordes d’un shamisen (instrument qui rappelle le banjo). 

Une soirée ici est une immersion dans un volet de la culture japonaise à laquelle la plupart des non-Japonais n’ont pas accès. Sinon par l’entremise de l’Aman Tokyo, des ryotei comme Tsurunaka exigent d’y être introduit par un habitué. C’est peut-être aussi l’occasion de revoir la perception occidentale de la geisha. Comme l’explique Ichiharu, qui se produit pour des hommes, des femmes, des couples et des familles au Tsurunaka, la geisha n’est pas une compagne au sens moderne, c’est une danseuse-musicienne traditionnelle japonaise classique, experte des jeux de société et de l’étiquette, et praticienne de l’art de l’omotenashi, terme souvent traduit par « hospitalité intuitive ». D’après Ichiharu, être une geisha est un mode de vie et, bien qu’elle et ses collègues geishas seraient trop modestes pour le dire elles-mêmes, c’est un rôle très respecté – qui, au Tsurunaka aujourd’hui, comme une journée de sumo, procure une expérience tout simplement inoubliable. 

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