Le temps est frais à Bruxelles, où mon taxi s’arrête devant un château. À y regarder de plus près, c’est un ancien arsenal militaire – mais qui recèle un secret royal. Un interphone m’accueille sur le pas d’une lourde porte et j’accès à un hall d’entrée immaculé et silencieux, conçu par Vudafieri Saverino Partners et dessiné par les artistes luxembourgeois Jean Bechameil et Martine Feipel (clou de la Biennale de Venise 2011), où une table à café me tente avec un plateau de chocolats belges, chacun estampé de la caricature d’un sac à main — l’emblématique sac Madame. J’en mange trois, m’arrêtant seulement par bienséance.
L'art du sac à main
Delvaux en Belgique est plus qu’un fabricant de sac à main avec sceau royal. C’est une leçon sur les origines lentes et patientes du sac à main, où les sacs en vogue deviennent un héritage.
De Dominique Cristall - 13 novembre 2018
C’est le premier de nombreux signes indiquant que c’est l’équivalent pour les sacs à main de l’usine de Willy Wonka – un monde où chaque détail est soigné avec amour, respect et, peut-être surtout, fantaisie.
« Pour les Belges, Delvaux est une institution », explique Jessica Volpe, responsable des relations médias de Delvaux, en commençant sa rapide leçon sur les origines du sac à main moderne. « La maison fait presque partie de notre ADN. »
Fondée en 1829, un an avant la déclaration d’indépendance de la Belgique, Delvaux est la plus ancienne maison de maroquinerie de luxe du monde. Avec l’essor du train, le fabricant de malles Charles Delvaux voit une occasion : les femmes ont besoin de sacs plus petits à garder en leur possession durant le déplacement – et c’est ainsi que le premier sac à main est né. La maison a été la toute première à déposer des brevets de sac à main, le premier étant enregistré en 1908. Ce que je traduirais par : j’ai voyagé dans le temps jusqu’à l’aube de l’histoire du sac à main (ou, si vous préférez, à l’époque du Paradis terrestre).
Fournisseur officiel de la couronne de Belgique depuis 1883, la maison a été la première marque de son genre à proposer des collections saisonnières (maintenant coutumières dans le monde de la haute couture) sous la direction de Franz Schwennicke, qui a repris le flambeau en 1933.
Slow Fashion
Après ma leçon d’histoire, Mme Volpe me guide à travers le hall d’entrée et au-delà de ce qui deviendra sous peu le musée de la marque : tablettes de sacs à main, de modèles phares comme Brillant, Tempête et Givry, qui constituent autant d’archives vivantes. C’est un salut au passé de la maison, alors qu’elle se lance vers le futur. En 2011, Delvaux a accueilli un nouveau partenaire, First Heritage Brands, qui a entamé l’expansion de l’entreprise familiale à une échelle mondiale. La société est maintenant passée d’une dizaine de boutiques à plus de 40 dans le monde aujourd’hui, de Paris à Hong Kong. Et pourtant, dans notre monde de mode en accéléré et de « luxe » clinquant, Delvaux est restée plutôt lente et silencieuse. Il est impossible de regarder les collections – à l’inspiration aussi bizarre et extraordinaire que l’œuvre de Magritte (« Ceci n’est pas un Delvaux », s’intitule un sac ) et les frites belges – sans témoigner à la fois d’un raffinement incroyable et d’une légèreté sincère. C’est un parfait équilibre que partagent leurs clients. « Nos clients apprécient le savoir-faire et sont libres, avec un bon sens de l’humour – comme nous », affirme la directrice artistique Christina Zeller, qui a supervisé auparavant la production d’accessoires pour les Karl Lagerfeld, Christian Lacroix et Givenchy de ce monde. « Ils recherchent une élégance non conventionnelle. »
Jean-Marc Loubier, PDG de First Heritage Brands, partage cette approche, guidant sa société par le cœur autant que par la tête, célèbre pour avoir dénoncé la tendance du jean à quatre euros comme étant dangereuse tant sur le plan environnemental que sur le plan social. Pendant qu’on me guide vers les ateliers, je vois clairement que cette société comprend bien la large mosaïque de la production manufacturière : facteur humain, méthode et produit. M. Loubier dit de cette valeur centrale essentielle : « L’écoresponsabilité doit transparaître dans tout ce que nous faisons, pas seulement dans le produit ». Dans un geste inhabituel pour une industrie réputée pour l’épuisement professionnel et les cycles féroces de licenciement et de débauchage, il a embauché Mme Zeller non alors qu’elle était à l’emploi d’une maison de mode concurrente, mais au cours de deux années sabbatiques – considérant son répit de l’industrie comme un atout créatif.
L’atelier de A à Z
L’atelier est beaucoup plus petit que je ne l’avais imaginé, mais il est évident que les valeurs Delvaux y sont intégrées durant tout le processus de production. J’entre dans un monde où le souci du détail est la raison d’être, qu’il s’agisse d’une simple couture, d’une couleur ou d’un dessin destiné à devenir une sculpture vivante. Nous dépassons deux enfilades de peaux de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, jusqu’à une table couverte de peaux aux couleurs de bonbon. Mme Volpe me présente chacune d’elles : leurs textures, fonctionnalités et destinations finales. Elle souligne l’importance de la relation de la maison avec ses tanneries, et explique le code d’éthique de ses fournisseurs, qui énonce des exigences de traçabilité pour tous les matériaux exotiques. Les peaux sont méticuleusement examinées à la main, d’abord par la vue, puis par le toucher, avant que l’artisan se guide au laser pour mieux positionner les différents morceaux de chaque sac à main sur le matériau pour maximiser l’utilisation tout en réduisant les déchets au minimum. Par exemple, le centre d’une peau se transforme en corps de sac, à partir d’un seul morceau sans défaut. Le processus de coupe suit ce tracé, et les peaux sont coupées soigneusement à la main (pour les matériaux exotiques, c’est la pratique habituelle), à l’emporte-pièce ou avec une machine de coupage spécialisée.
Tous les matériaux sont traités comme étant sacrés, et dans la poursuite de la visite, je peine à apercevoir des rebuts. Les retailles de cuir sont soit recyclées en incrustations qui créent imperceptiblement l’architecture exigée par les dessins, dissimulées entre le cuir externe et la doublure, avec différents types de cuir recyclé offrant différents degrés de rigidité, ou sont données à une école de métiers locale. L’atelier est organisé, d’une propreté impeccable et tranquille. Si la fabrication allégée a migré dans la mode, c’est bien ici.
À son poste de travail, chaque artisan brille doucement par son engagement méticuleux à la tâche en cours. Et c’est toujours une tâche des plus précises : La préparation des peaux à elle seule compte une demi-douzaine d’étapes. Des couseurs calibrent des distances précises entre chaque point, de même que le nombre standard de points par centimètre. Véritables magiciens, ils s’assurent que ni le début ni la fin d’une rangée de coutures ne soient visibles, cachés sous le cuir. « Les sacs Delvaux sont aussi beaux à l’intérieur qu’à l’extérieur, et l’intérieur devient souvent un jardin secret connu de sa seule propriétaire », affirme Mme Volpe. Je suis étonnée de la complexité de l’exécution. Ce ne sont pas de simples sacs à main, ce sont des œuvres d’art.
Enfin, on me conduit au service après-vente, un coin de l’atelier où l’histoire de Delvaux est suspendue à côté des produits phares de l’heure, ou les sacs en vogue d’aujourd’hui. Le gardien de ce coin magique est Luc Collaer, directeur du service après-vente, qui a commencé sa carrière chez Delvaux en 1970, en pleine adolescence, travaillant trois jours par semaine comme apprenti tout en poursuivant sa formation. M. Collaer s’occupe des sacs avec le soin et la chaleur d’un parent, sa mémoire encyclopédique étant la version humaine du livre d’or de Delvaux, registre officiel de chaque sac à main produit – plus de 3 000 au total. Il est si habile qu’il peut recevoir un sac de n’importe quelle époque et se rappeler son nom, l’année où il a été conçu et peut-être même s’il l’a déjà vu et réparé de ses propres mains. Au moment où je lui parle, j’ai le souffle coupé à la vue d’un sac en peau de crocodile (« Des années 60 », estime-t-il) destiné à être entièrement restauré. Même après tout ce temps, il est aussi séduit que moi, avec raison. Ce sac à main est tout aussi adapté à notre époque qu’il l’était au moment où il a été conçu, il y a quelque 60 années. Il n’est pas seulement portable, mais il me rappelle la formule d’Aldo Gucci : « on se rappelle de la qualité longtemps après avoir oublié le prix ». Après tout, c’est une lettre d’amour à celle qui le porte. Ce qui nous rappelle qu’en investissant dans un petit nombre d’objets précieux qui durent toute une vie, nous investissons non seulement dans du grand style, mais aussi dans notre planète.
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